Sonnet en XY


Ses purs ongles très-haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.
Mallarmé, 1868 et 1887


Vocabulaire :

Onyx                  Ongle (en grec). Variété d’agate.
Lampadophore   Porteur de flambeau.
Phénix             Oiseau fabuleux, doué d'une extraordinaire longévité, qui avait le pouvoir de renaître de ses cendres après s'être consumé sur un bûcher, symbole de résurgence cyclique.
Crédence          Buffet, table destiné(e) à recevoir les plats présentés au cours de l'essai des mets.
                         Meuble fermé destiné à recevoir des objets précieux.
Dispositif destiné à recevoir les objets utilisés pendant la messe.
Ptyx                  Pli (en grec). Voir les mots diptyque (plié en deux) ou triptyque (plié en trois).
Nixe                  Nymphe des eaux, dans la mythologie germanique et scandinave.
Septuor             Œuvre, morceau écrit pour sept instruments, pour sept voix.
                         Ensemble de sept musiciens, de sept chanteurs.


Voilà un sonnet particulièrement hermétique. Heureusement, Mallarmé a donné un commentaire qui aide à la compréhension :

« J'extrais ce sonnet, auquel j'avais une fois songé, d'une étude projetée sur la Parole : il est inverse, je veux dire que le sens, s'il en a un, (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poésie qu'il renferme, ce me semble) est évoqué par un mirage interne des mots eux-mêmes. En se laissant aller à le murmurer plusieurs fois on éprouve une sensation assez cabalistique. C'est confesser qu'il est peu « plastique » comme tu me le demandes, mais au moins est-ce aussi « blanc et noir » que possible, et il me semble se prêter à une eau-forte pleine de Rêve et de Vide.
— Par exemple, une fenêtre nocturne ouverte, les deux volets attachés ; une chambre avec personne dedans, malgré l'air stable que présentent les volets attachés, et dans une nuit faite d'absence et d'interrogation,  sans meubles,  sinon l'ébauche plausible de vagues consoles, un cadre, belliqueux et agonisant, de miroir appendu au fond, avec sa réflexion, stellaire et incompréhensible, de la grande Ourse, qui relie au ciel seul ce logis abandonné du monde.
— J'ai pris ce sujet d'un sonnet nul se réfléchissant de toutes les façons ; parce que mon œuvre est si bien préparé et hiérarchisé, représentant, comme il le peut l'Univers, que je n'aurais  su,  sans  endommager  quelqu'une de mes impressions étagées, rien en enlever — et aucun sonnet ne s'y rencontre. »

Diverses interprétations existent.





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